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En Ukraine, un salon de beauté aide les soldats traumatisés à renouer avec la normalité
En Ukraine, un salon de beauté aide les soldats traumatisés à renouer avec la normalité / Photo: Roman PILIPEY - AFP

En Ukraine, un salon de beauté aide les soldats traumatisés à renouer avec la normalité

Quand la tondeuse parcourt la tête grisonnante d'Igor, il ferme les yeux, détendu. Il y a quelques mois encore, le bourdonnement de l'appareil était pourtant synonyme de passage à tabac par des matons russes.

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Soldat du bataillon ukrainien Kraken, Igor Chychko, 41 ans, avait été capturé le 22 mai 2022, trois mois après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, pour n'être libéré que deux ans plus tard, en mai 2024, dans le cadre d'un échange de prisonniers.

Si la vue du rasoir rappelle à Igor sa détention, c'est que "chaque semaine, nous avions 10 minutes pour tondre les 15 personnes de notre cellule de 25m2".

Pour une tête mal rasée, les matons leur infligeaient des électrocutions ou des coups sur les mollets, raconte-t-il, lors d'une rencontre avec l'AFP le 29 août.

Parmi les 3.672 détenus ukrainiens libérés, nombreux sont ceux qui, comme Igor, souffrent de troubles de stress post-traumatique.

Selon un rapport des Nations-unies de mars 2024, la pratique de la torture et des mauvais traitements infligés en Russie aux prisonniers de guerre est "généralisée et systématique", entrainant des séquelles psychologiques et physiques.

Mais là, assis dans un fauteuil de coiffeur, Igor sourit, profitant d'un rare moment de détente durant lequel il va oublier les "flashs" des sévices subis.

Une parenthèse qu'il doit à un salon de beauté qu'organise chaque semaine le Centre de santé mentale Lissova Poliana (La Clairière) où il a été placé en convalescence durant l'été.

Ici, des soldats brisés combattent le traumatisme qui les ronge.

Cet ancien sanatorium soviétique de Kiev transformé en clinique traite une centaine de patients grâce à des ateliers de relaxation et de suivi psychologique. Une goutte d'eau, alors que 9,6 millions d'Ukrainiens sont en situation de traumatisme psychologique, selon l'OMS.

- "Je suis gris" -

Ciseaux en main et sourire contagieux, Ioulia Pouzanska ne compte plus les têtes qu'elle a coiffées, abîmées de l'intérieur par la mort trop longtemps côtoyée ou les tortures endurées. Pour elle, les soldats ne viennent pas "seulement pour la coupe de cheveux", mais surtout pour réintégrer "la normalité qui leur échappe".

"Se faire coiffer, c'est se rendre compte qu'on est toujours le même", raconte la visagiste de 33 ans.

"C'est un petit pas qui les rapproche de la vie d'avant" les traumatismes.

"Beaucoup d'entre eux ne parlent plus ou ne veulent pas parler", explique Ioulia à propos des patients nouvellement arrivés, "ils ont peur de ce monde".

En captivité, Igor a perdu 45 kilos, l'ouïe et ses cheveux sont devenus plus sel que poivre. Il a surtout perdu la fibre sociale et doit réapprendre la vie en famille, se "réhabituer aux autres", dit-il sombre.

"Je suis devenu plus gris, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur".

La faute aux sévices infligés par ses geôliers qui lui matraquait l'esprit avec la grandeur de la "Russie éternelle", prédisait l'annexion de la Pologne par Moscou ou voulait voir la France en "colonie russe", poursuit l'ex-prisonnier.

Si Igor les contredisait, il prenait, nu, une pluie de coups de matraques.

"Cette coupe va bien avec la forme de votre tête", lance Ioulia guillerette, tranchant avec la lourdeur de l'ambiance.

Entre ses mains, Igor se réhabitue au contact physique, à sentir les doigts sur sa tête et sur sa nuque: "des bonnes ondes", dit-il, "j'apprends à discuter".

Igor confie devoir réapprendre la normalité: "J'avais même oublié comment brancher un chargeur de téléphone".

- "Je dois survivre" -

Alors que la file de patients s'allonge pour passer entre les doigts magiques de Ioulia, l'ambiance monacale s'allège et les conversations se font plus vives.

Au milieu des barbes bourrues, les yeux sont fermés et apaisés malgré les néons blafards du hall et la techno crachée par des baffles bon marché.

"Dans la tranchée, on est des animaux, ici, on redevient des hommes", lance à l'AFP un des soldats traités à Lissova Poliana.

"Ils nous parlent de leur vie, car ils n’ont personne à qui le dire", explique Ioulia, "parfois certaines choses sont horribles."

Après la séance, sourires gênés, les soldats défilent pour offrir aux coiffeurs du café ou des gâteaux subtilisés à la cantine du Centre. Autant d'offrandes qui remplacent les mots bloqués dans les gorges, selon Ioulia. "Pour eux qui ont connu la faim au front, la nourriture a une grande valeur."

Si elle se considère un peu "psychologue", la jeune femme reconnaît pleinement ses limites, comme lorsqu’elle se souvient d'un jeune homme de 21 ans aux yeux éteints.

"Quand je lui ai demandé ce qu'il comptait faire après la guerre, il est resté silencieux et m'a juste répété +je dois survivre+".

La plupart des soldats que l'AFP a rencontré au salon de coiffure seront traités quelques semaines avant de repartir au front.

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