Simple piste ou "scandale écologique"? A Spéracèdes, les gravats de la discorde
Une verrue gigantesque, dans un paysage de rêve: près de Grasse (Alpes-Maritimes), une piste de 400 mètres de long et 15 mètres de haut constituée de milliers de tonnes de gravats pollués est apparue peu à peu, et le combat est désormais judiciaire.
Pendant deux ans, à la suite d'une simple autorisation de défrichement, une société de BTP, la SEETP, a déversé des matériaux de chantiers sur la commune de Spéracèdes, village des Alpes-Maritimes d'à peine 1.400 habitants. Dans les remblais de cette piste, des résidus de fer, de plastique, de bitume et même d'amiante.
"Un scandale sanitaire et écologique" selon Florence Pintus, élue municipale d'opposition et membre de l'Aspic, une association locale de protection de l’environnement.
Pire, selon l'association, qui a interpellé la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, la sous-préfecture des Alpes-Maritimes aurait renoncé à la remise en état du site pour "privilégier une solution de régularisation" de cette décharge illégale, et ce avant même la conclusion de l'enquête judiciaire.
Tout débute en 2019, à Spéracèdes donc, à 10 kilomètres de Grasse, la "capitale du parfum". Le panorama est somptueux, la Méditerranée d'un côté, le massif enneigé de l'Audibergue de l'autre.
Le maire de l'époque, Joël Pasquelin, podologue de profession, souhaite construire une piste "pour desservir six villas qui se trouvent au col de Cabris", sur la commune limitrophe de Saint-Cézaire, et en faire ensuite "une piste DFCI", réservée donc aux services de lutte contre les incendies, comme il l'explique à l'AFP.
Contre un simple accord verbal, 35.000 m3 de terre vont être déversés, soit "plus de 4.000 rotations de camions", selon Me Gérard Germani, l'avocat mandaté par l'Aspic. Des barres rocheuses, refuge de chauve-souris et lézards, sont détruites, ainsi que de nombreux arbres.
La SEETP "nous faisait la piste gracieusement", se défend M. Pasquelin.
- "De l'amiante ?" -
Le seul document existant est pourtant un devis, de 11.000 euros, à la charge de la mairie. Non seulement l'entreprise aurait été rémunérée, mais de surcroît elle se serait débarrassée à bon compte de déchets dont le traitement dans une décharge légale "lui aurait coûté des millions d'euros", dénonce Mme Pintus.
Contactée à plusieurs reprises par l'AFP, la SEETP, basée à Grasse, n'a jamais répondu.
Selon M. Pasquelin, la Direction départementale des territoires et de la mer "devait envoyer les documents officiels": "Mais comme il y a eu cette histoire du Covid, je n'ai rien reçu jusqu'en juin 2020", explique-t-il.
A cette même date, ce sont les élections municipales. Et l'ancien maire perd son écharpe tricolore.
Sur place, des observations avaient "démontré la présence de divers déchets plastiques, bitumeux, de métaux, filets, céramiques et carrelages", et même d'amiante, comme "confirmé par un laboratoire indépendant", ainsi que l'a souligné Me Germani dans un courrier à la sous-préfecture.
"De l'amiante? Je l'ignorais", s'étonne M. Pasquelin, interrogé au téléphone depuis sa maison du Morvan où il s'est retiré: "Je tombe des nues (...) Ca me surprend de la part de SEETP, une société très sérieuse, qui faisait des travaux sur la commune".
- Permis d'aménager rétroactif -
En 2011, cette entreprise avait en effet déversé des tonnes de terre sur un autre site communal, destiné à devenir une piste de BMX. Mais le projet avait finalement été abandonné: "Ils n'avaient plus de terre propre, alors ils avaient arrêté", avance l'ex-élu.
C'est après une plainte de France Nature Environnement (FNE), en janvier 2020, devant le procureur de la République de Grasse, qu'une enquête pénale est enfin ouverte. Elle "est toujours en cours", a confirmé à l'AFP Fabien Cézanne, substitut du procureur de Grasse, en précisant que les analyses sur la nature des matériaux déversés sont attendues et qu'"à présent les auditions de toutes les personnes concernées doivent être réalisées".
Parmi elles, Jean-Marc Macario, maire depuis 2020, déjà entendu par les gendarmes et accusé par l'Aspic d'avoir tardé à arrêter les travaux, qui ont duré jusqu'en décembre 2021.
Le 14 octobre, une réunion s'est tenue à la sous-préfecture de Grasse, au cours de laquelle "une stratégie a été élaborée, sous l'égide de la sous-préfète, consistant à ne pas verbaliser SEETP et à habiller la piste par un permis d'aménager" rétroactif, accuse Mme Pintus.
Dans des courriels de la fin octobre 2021, consultés par l'AFP, le secrétaire général de la sous-préfecture remercie ainsi une élue pour les documents transmis, expliquant qu'il lui adressera "dès que possible le projet de calendrier pour la mise en oeuvre de la démarche de régularisation de cette situation".
Contactée par l'AFP, la sous-préfecture s'est refusée à tout commentaire, "cette affaire étant placée sous l'autorité du parquet de Grasse". Quant à la sous-préfète en poste lors de cette réunion, elle n'est plus à Grasse.
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